Erdogan et Mitsotakis initient une « nouvelle feuille de route » pour la Grèce et la Turquie
Fraîchement réélus, les deux leaders se retrouvent mercredi, en marge du sommet de l'Otan, pour la première fois en seize mois. L'occasion de rouvrir le dialogue entre Athènes et Ankara, après des mois de tensions, mais certainement pas d'aboutir à des avancées concrètes.
Par Basile Dekonink
La dernière fois, ils s'étaient quittés bons amis, avant que ne s'ensuivent des mois de menaces, de coups de menton et d'invectives. Quelques semaines après leurs réélections respectives, Recep Tayyip Erdogan et Kyriakos Mitsotakis se retrouvent pour la première fois en seize mois, ce mercredi, en marge du sommet de l'Otan à Vilnius. L'occasion, affirment le président turc et le Premier ministre grec, d'initier une nouvelle « feuille de route » pour les relations gréco-turques.
La rencontre, qui devrait avoir lieu mercredi aux alentours de midi dans la capitale lituanienne, juste après la conclusion du sommet, est une vraie chance de « rapprochement », a indiqué Kyriakos Mitsotakis. Tout au long de sa campagne électorale, le Premier ministre conservateur grec a plaidé pour un retour à la « logique des discussions des années précédentes » quand, malgré des positions diamétralement opposées sur les sujets de fond, les deux pays poursuivaient des négociations exploratoires, multipliaient les formats de dialogues, se fixaient des objectifs d'échanges commerciaux bilatéraux.
Climat positif
Ces progrès se sont subitement interrompus dans la foulée de leur dernière rencontre, en mars 2022 à Istanbul. Le discours de Kyriakos Mitsotakis à Washington, intimant à mots couverts le Congrès américain de ne pas livrer de F-16 à la Turquie, a été le déclencheur : Ankara a immédiatement rompu ses liens diplomatiques avec Athènes.
Pour Recep Tayyip Erdogan, son homologue grec « n'exist[ait] plus » ; en octobre, Ankara a fait savoir que ses nouveaux missiles Tayfun pouvaient atteindre la capitale grecque en l'espace de 456 secondes. L'escalade a pris fin avec le terrible séisme de février en Turquie : les images des secouristes grecs, parmi les premiers sur place, ont fait le tour monde et ont soulevé d'immenses vagues d'émotion dans les deux pays. Depuis, les deux chefs d'Etat se sont mutuellement félicités pour leur réélection et ont émis le souhait de capitaliser sur ce « climat positif » pour relancer le dialogue.
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Cet élan s'incarne dans la composition des nouveaux gouvernements. Recep Tayyip Erdogan a remplacé son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, par Hakan Fidan, réputé moins radical et bien plus pragmatique dans son approche des relations avec l'Occident. Kyriakos Mitsotakis a, lui, promu Georges Gerapetritis, tenant comme lui d'une ligne modérée sur les « sujets nationaux », comme chef de sa diplomatie. Le début d'une nouvelle ère ?
Arc-boutés
« On est très loin d'aboutir à quoi que ce soit sur les disputes de fond », tempère Dimitrios Triantaphyllou, professeur de relations internationales à l'université Panteion et qui a enseigné des années à Istanbul. « Il faut d'abord reconstruire une structure de dialogue à tous les niveaux, trouver le format qui permettra d'avoir des échanges constructifs. »
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Les avancées récentes ne changent rien : les deux membres de l'Otan restent deux pays arc-boutés sur leurs positions, incapables de s'entendre même sur la nature de leurs désaccords. Pour Athènes, la seule négociation possible reste la délimitation du plateau continental et des zones économiques exclusives pour départager leurs ressources gazières en Méditerranée ; pour Ankara, cette approche élude des sujets de prime importance, de la démilitarisation des îles du Dodécanèse au sort de la minorité musulmane en Thrace. Sans oublier la plaie ouverte de Chypre.
Impossible, surtout, de circonscrire cette rencontre au seul prisme gréco-turc. Faire montre de bonne volonté est, pour les Turcs, un levier dans leur délicate équation diplomatique : le pays a besoin des fonds occidentaux pour reconstruire son économie et veut l'aval de Washington pour les F-16, alors que ses réticences à faire entrer la Suède dans l'Otan jouent en sa défaveur. De quoi faire aboutir la rencontre sur un « agenda positif », comme l'anticipent les deux chancelleries. Mais certainement pas sur des avancées concrètes.
Basile Dekonink (Correspondant à Athènes)