Servir 20 millions de boissons en un peu moins de quatre semaines de Jeux Olympiques puis Paralympiques n'est pas un mince défi. Chargé de cette mission, Coca-Cola l'aborde avec la force de l'habitude. Plus ancien partenaire mondial du Comité international olympique (CIO), le géant américain est le sponsor des Jeux depuis l'édition d'Amsterdam, en 1928. À l'époque, la marque de soda créée en 1886 par un pharmacien de l'État de Géorgie est en quête de notoriété. Elle embarque 1 000 caisses de ses bouteilles sur le bateau qui conduit la délégation américaine aux Pays-Bas. « Se présenter au monde, trouver quelque chose qui passionne les gens et l'utiliser comme plateforme pour développer notre business : c'était l'idée au départ », expose Tim Dignard, directeur partenariats et opérations globales chez Coca, à Atlanta. L'empreinte de Coca-Cola sur les Jeux n'a fait que croître depuis.
À Los Angeles en 1932, la marque apparaît sur le tableau annonçant les records du monde. À Londres en 1948, elle sponsorise la retransmission télé des épreuves en Angleterre, une première alors. Dans la foulée des Jeux de Los Angeles 1984, « les premiers largement financés par des sponsors », rappelle Victor Matheson, spécialiste de l'économie du sport et enseignant au College of the Holy Cross, dans le Massachusetts, Coca contribue à la création du programme TOP (The Olympic Partners). Aujourd'hui, ce programme regroupe les 14 principaux sponsors du CIO. De 90 M$ (83,5 M€) au départ, il a atteint 2,3 Md $ (2,1 Md €) sur la période 2017-2020.
Barcelone 1992 marque un premier virage. « Ç'a été le lancement de plusieurs marques comme Powerade. Et pour la première fois, nous avons été partenaire du relais de la flamme et des Jeux Paralympiques », énumère Dignard. Preuve ultime de l'influence colossale de la multinationale sur le mouvement olympique, le CIO attribue l'édition 1996 à Atlanta, berceau de Coca, au détriment d'Athènes qui espérait accueillir le centenaire des Jeux modernes. « C'est évidemment une date clé, poursuit le dirigeant. On a eu l'opportunité d'accueillir le monde dans notre jardin. On a eu des moments iconiques, Muhammad Ali qui allume la flamme, le lancement du World of Coca-Cola (le musée de la marque). Ç'a établi une nouvelle norme sur notre engagement pour les Jeux. »
Au fil des éditions, la marque a su se servir des JO pour élargir sa diffusion jusqu'à devenir le mastodonte aux 45,8 Md $ (42,5 Md €) de chiffre d'affaires dans plus de 200 pays en 2023. Par l'ancienneté de son partenariat, elle symbolise aussi le poids croissant des sponsors dans les Jeux. Au-delà de la diffusion de ses produits (le groupe compte plus de 500 marques), Coca-Cola mise sur cet événement planétaire pour asseoir son image de marque en jouant sur l'émotion.
« L'image de marque et la visibilité sont les choses les plus importantes. Coca vend de l'eau et du sucre, ce qui est similaire à énormément de boissons, analyse Matheson, coauteur de Going for the Gold : The Economics of the Olympics. Quand on vend un produit mainstream, l'enjeu, c'est le cachet de la marque. » Une analyse que ne renierait sans doute pas le principal intéressé. « On fournit les boissons mais on joue un grand rôle sur l'engouement autour des Jeux, souligne Dignard. Les financements sont cruciaux mais on aide aussi à promouvoir les Jeux et leur donner vie. »
Paris 2024, le tournant de la promesse des Jeux les plus durables
Le groupe américain a trouvé dans le relais de la flamme le parfait moyen de jouer ce rôle de chauffeur de salle. Parmi les expériences proposées au public, six concerts gratuits rythmeront le parcours des deux torches cet été. « Ça fait partie de ce qui nous distingue d'autres sponsors olympiques. Le relais marche très bien pour nous. C'est très puissant et ça nous permet de faire la promotion des Jeux beaucoup plus tôt. » En termes d'image, les sponsors, Coca-Cola en tête, sont attendus au tournant sur la promesse de Jeux les plus durables de l'histoire. Pour la sixième fois en six ans, le groupe a été désigné comme le premier pollueur plastique mondial selon l'audit de la coalition d'ONG Break Free From Plastic. À Marseille, une association de défense de l'environnement a refusé de porter la flamme en raison de la présence de Coca-Cola comme parrain officiel du relais.
En 2022, la marque s'était engagée à atteindre les 25 % d'emballage réutilisables d'ici 2030. Et si elle ne communique plus à ce sujet depuis, elle compte sur les Jeux pour montrer ses progrès. « Ce sont mes huitièmes JO et ce sont de très loin les plus audacieux et ambitieux en termes de durabilité dans nos opérations. Quelle meilleure plateforme pour démontrer qu'on peut y arriver au quotidien ? », assure Dignard. Les 15 000 athlètes disposeront de bouteilles réutilisables. Environ 700 fontaines seront installées sur les sites olympiques et seront utilisées avec des gobelets réutilisables et consignés. Les boissons seront aussi servies à partir de bouteilles en verre. « Quand les conditions opérationnelles empêchent l'installation de fontaines », des bouteilles en plastique recyclé (sauf le bouchon et l'étiquette), seront utilisées.
C'est une opportunité de montrer au monde l'impact des emballages réutilisables
Dana Miller, directrice stratégie de l'ONG Oceana Europe
Un dernier point qui « préoccupe » Dana Miller, directrice stratégie à Oceana Europe, une ONG de protection des océans. À quelques mois des Jeux, elle se montre tout de même positive quant aux ambitions du Cojop : « En tant que sponsor de l'événement, Coca fera partie de cet effort. C'est une opportunité de montrer au monde l'impact des emballages réutilisables. On ne fêtera ni Coca ni les Jeux pour le moment, on attend de voir comment ils vont saisir cette opportunité. »
« On a fait de bons progrès mais on reconnaît qu'il y a encore énormément de choses à faire. La question est comment faire en sorte que les Jeux nous aident à aller plus vite ? », répond Tim Dignard. L'entreprise l'assure, Paris 2024 sera un nouveau tournant, à quatre ans du centenaire de son histoire olympique. « On a tout ce qu'il faut pour que ce soit une édition clé : une ville iconique, le retour des fans après le Covid, et beaucoup de premières entre l'ambition environnementale, la parité, la cérémonie sur la Seine, détaille-t-il. Des équipes de Los Angeles 2028 seront là. Le but est de les inspirer et de leur montrer comment franchir une étape. C'est la première fois que les Jeux reviendront aux USA depuis Atlanta et ce sera le centenaire du partenariat. On va faire de grandes choses. »