Des enfants palestiniens à une distribution de nourriture dans une école gérée par l'ONU à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 23 octobre 2023

Des enfants palestiniens à une distribution de nourriture dans une école gérée par l'ONU à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 23 octobre 2023

afp.com/MOHAMMED ABED

La bande de Gaza concentre un précipité de misère économique et sociale. L’obsession matérialiste de certains de nos commentateurs de gauche, qui voient dans la pauvreté la raison légitime du terrorisme et la conséquence de l’oppression économique occidentale, passe largement à côté du sujet. En faisant d’Israël l’unique responsable de la misère des Gazaouis, on s’empêche de penser la responsabilité du Hamas sur l’absence de développement économique.

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Peuplé de plus de 2,2 millions d’habitants très jeunes – 70 % sont âgés de moins de 30 ans – sur une surface de 40 kilomètres de long et 12 kilomètres de large à l’endroit le moins étroit, Gaza est l’un des territoires les plus denses au monde. Avec un taux de fécondité supérieur à trois enfants par femme en âge de procréer, la population continue d’augmenter. Malheureusement, cette démographie est excessive par rapport à la taille de l’économie locale, constituée de commerces, d’un peu d’industrie agroalimentaire et de produits manufacturés, comme des meubles. Le secteur agricole est composé de petites exploitations d’agrumes, d’olives, de dattes et de pastèques. Les services publics – eau, électricité – fonctionnent par intermittence. Avant les attaques du 7 octobre, seuls 20 000 Gazaouis disposaient de permis pour travailler en Israël. Le taux de chômage flirte avec les 50 % de la population active et 60 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

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Les deux tiers de la population ne survivent que grâce à l’aide humanitaire. Il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur celle-ci, en raison des nombreux intermédiaires par lesquels transitent les financements, et parce que les données agrègent généralement l’argent destiné à Gaza et à la Cisjordanie. D’après les chiffres de l’OCDE, le principal pourvoyeur de fonds vers les territoires où vivent les Palestiniens est l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), organisme lui-même alimenté pour l’essentiel par les Etats-Unis et les pays de l’Union européenne (UE) qui, outre ces apports intermédiés, versent directement des fonds. D’après l’OCDE, l’aide internationale totale aux Palestiniens est de l’ordre de 2 milliards de dollars par an. L’Egypte, et surtout le Qatar, soutiennent Gaza en cash et en nature – carburant et électricité. C’est aussi le cas d’Israël, qui fournit une partie des services publics du territoire.

Consommation d'eau moyenne estimée par habitant dans la bande de Gaza en 2021 et au 15 octobre 2023

Consommation d'eau moyenne estimée par habitant dans la bande de Gaza en 2021 et au 15 octobre 2023

© / AFP

Le dilemme de l’aide au développement

Le problème ? Ces fonds sont en grande partie détournés par le Hamas pour fabriquer des armes, acheter des médicaments et des voitures, ou faire construire des maisons luxueuses. Le dilemme de l’aide au développement vers Gaza du point de vue des Etats-Unis, de l’Europe ou d’Israël vient du fait qu’elle atteint très peu la population palestinienne et qu’elle nourrit une organisation qui vise la destruction de l’Etat hébreu. C’est la raison pour laquelle l’UE est divisée entre des pays qui, comme la Hongrie, privilégient le combat contre le financement du terrorisme et ceux qui, comme la France, ne veulent pas priver les Gazaouis de cette aide, y compris pour ne pas avoir l’air de les abandonner aux mains des islamistes.

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Depuis 2007, le blocus israélien impose, pour des raisons de sécurité, un contrôle strict des importations. L’entrée d’acier, par exemple, est interdite, pour éviter que le Hamas ne l’utilise dans la fabrication d’armes. De nombreux commentateurs rendent ce blocus responsable du sous-développement de Gaza. Mais l’argument est insuffisant. Ce blocus est rendu nécessaire par les détournements du Hamas. D’ailleurs, il est aussi pratiqué par l’Egypte. On accuse Israël d’isoler Gaza, mais la politique commerciale de l’Egypte est extrêmement stricte vis-à-vis du territoire contrôlé par le Hamas. Pour protéger sa sécurité, l’Egypte refuse tout lien économique avec Gaza, exactement comme Israël.

Il y a autre chose. La misère sociale de Gaza n’est pas monocausale. Elle est le résultat d’une configuration politique et administrative. Le Hamas taxe les quelques importations existantes, et distrait l’aide à son profit. L’idéologie de cette organisation tue dans l’œuf toute volonté de développement endogène. L’oppression des femmes et des homosexuels, l’éducation islamiste, la volonté de tout contrôler pour éloigner le spectre de "l’occidentalisation" empêchent l’émergence d’un secteur privé capable de générer des emplois et des revenus. L’isolement, la corruption, l’absence de liberté, l’islamisme : voilà les coupables de la misère des Gazaouis.

* Nicolas Bouzou est économiste et essayiste

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