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Loi Descrozaille: pourquoi la limitation des promotions sur les produits non alimentaires divise

Remise en cause par la grande distribution, cette loi prévoit d’interdire les super promotions sur certains produits non alimentaires en rayon.

La "loi pour renforcer l’équilibre entre fournisseurs et distributeurs" continue de faire réagir. Porté par le député Renaissance Frédéric Descrozaille et adopté en mars dernier par le Parlement, le texte, qui doit entrer en vigueur en mars 2024, prévoit de mieux encadrer les promotions de certains produits non alimentaires comme ceux d’hygiène, d’entretien ou de parfumerie.

Mais dans un contexte d'inflation toujours marquée - elle a rebondi à 4,8% sur un an en août, cette loi ne fait pas l'unanimité. Pensée pour aider les industriels dans les négociations, elle est critiquée par les distributeurs et ne fait pas l'affaire des consommateurs déjà obligés de compter leurs dépenses au supermarché.

"Si on a pas ces promos, on ne peut pas les acheter"

"Moi je prends les -40%, les -50%, un acheté le deuxième moitié prix, deux achetés un gratuit", explique ainsi à BFMTV Elisabeth, dont le quotidien consiste justement à dénicher les promotions avantageuses dans les rayons et de scruter les prix de près pour ne pas dépasser son budget.

"Pour ce qui est lessive, sopalin, papier toilette… si on a pas ces promos, on ne peut pas les acheter", déplore-t-elle.

Avec le contexte inflationniste persistant, les ménages attendent justement beaucoup de ces rabais pour alléger leurs dépenses. "Tout augmente et je pense que ce n’est pas le bon moment de réduire la force des promotions dans les supermarchés", s’offusque un autre consommateur au micro de BFMTV.

Une loi en faveur des industriels et fabricants

À partir de l’entrée en vigueur de cette loi en mars 2024, les promotions sur les produits non alimentaires seront donc plafonnées à 34%. Une mesure initialement présentée comme un moyen de protéger les industriels dans leurs négociations avec la grande distribution. Quand un distributeur "fait une promotion, il va dire à l’industriel qu’il est obligé d’accepter de baisser les prix", décrypte Pascale Hebel, spécialiste consommation. En bout de course, "c’est le fabricant qui baisse sa marge", ajoute-t-elle.

Pour le député Frédéric Descrozaille, la priorité est à la protection de l’emploi et des PME qui ne peuvent pas se permettre d’abaisser leurs prix de vente. La loi permet d’ailleurs au fournisseur d’arrêter tout simplement les livraisons si un accord n’est pas trouvé.

Par ailleurs, le but de cette mesure est aussi d’éviter que les industriels ne mettent trop de pression sur les agriculteurs en bout de course. Elle reprend un dispositif phare de la loi Egalim de 2018, le SRP+ 10 qui a relevé le seuil de revente à perte à 10% pour les distributeurs sur les produits alimentaires. Concrètement, si un distributeur achète un produit à 1€, le prix de revente en rayon ne peut être fixé en dessous de 1,10 €.

En théorie, plus la marge est importante, plus le distributeur aurait ensuite la possibilité d’accepter les tarifs pratiqués par les agriculteurs. Cette règle a été reconduite en 2025 -à l’exception des fruits et légumes- quand bien même plusieurs doutes sur son efficacité ont été pointés. En juillet 2022, un rapport d’information du Sénat a justement relevé plusieurs failles:

"Illustration emblématique du 'ruissellement' théorique, le SRP +10 ne semble avoir que très partiellement atteint son objectif, ainsi qu’un rapport du Sénat l’a démontré en 2019, peut-on lire dans le rapport. Il s’est effectivement traduit par une hausse des prix pour les consommateurs finaux, le retour aux agriculteurs semblait inexistant, ce qui implique de s’interroger sur l’usage qui a été fait de ce surcroît de marges, évalué selon les sources à 600 millions d’euros."

Une levée de boucliers côté distributeurs

La levée de boucliers du côté de la grande distribution n’a pas tardé puisque le patron de Carrefour Alexandre Bompard a critiqué sur Franceinfo mardi dernier une loi “qui ne bénéficie qu'à trois grandes multinationales mondiales: eux vont augmenter leurs marges alors que la privation de consommation est là". Ce dernier affirme également que 1 à 2 Français sur 10 se privent actuellement de produits d’hygiène.

Alexandre Bompard propose par ailleurs un moratoire d’un an sur l’application de cette loi, une proposition ralliée notamment par Dominique Schelcher, directeur général de Système U. Présent sur BFM Politique ce dimanche, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a botté en touche sur la question du moratoire mais il a tout de même rappelé être opposé au plafonnement à 34%.

En réponse, le député Descrozaille a qualifié, dans un courrier daté du 31 août, cette prise de position "d’opération de communication".

"Je conçois fort bien que vous saisissiez l’occasion d’un rendez-vous rendu public avec le Ministre de l’Économie pour proposer le report d’une disposition dont, pourtant, aucun bilan ne saurait être dressé, et pour cause: elle n’est encore même pas en vigueur", a-t-il rétorqué.

Ce dernier évoque un seuil de revente dans le non alimentaire aujourd’hui situé à 18,9% alors que la loi permet de l’élever à 25%. Une manière de signifier que les grands distributeurs ne jouent pas le jeu et que les grosses promotions ne bénéficient in fine pas aux petites et moyennes entreprises en amont de la chaîne.

Pierre Berthoux