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Sciences

En quoi consistent les expériences de gain de fonction?

11-11-2021

Pixabay

En virologie, les expériences de « gain de fonction » consistent à modifier génétiquement des virus pour les rendre plus transmissibles ou plus virulents.

Ces recherches, très controversées, ont fait parler d’elles ces derniers mois, car les scientifiques du laboratoire de Wuhan, ville d’où a émergé la pandémie, pratiquaient ce type de manipulations génétiques sur des coronavirus de chauve-souris. Un constat qui a nourri la thèse selon laquelle le SRAS-CoV-2 aurait pu être une « chimère » créée artificiellement et échappée du laboratoire (nous parlions de cette hypothèse ici).

À ce jour, la thèse de la fuite de laboratoire n’est pas complètement écartée, « mais elle demeure la moins probable », rappelle d’emblée Benoît Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal et spécialiste en virologie. Par ailleurs, explique-t-il, la manipulation du génome de virus potentiellement pathogènes n’est pas une pratique nouvelle. « Le but de cette approche est d’anticiper quels seraient les virus animaux, par exemple aviaires, pouvant franchir la barrière des espèces. L’objectif est aussi de comprendre quels sont les mécanismes qui les rendraient plus transmissibles. C’est un type de recherche intéressant, mais il faut le faire dans des laboratoires de confinement maximal. » Au Canada, un seul laboratoire de ce niveau existe, à Winnipeg, mais ce type de manipulation n’y est pas pratiqué. L’Institut de virologie de Wuhan possède lui aussi cette certification. Un très petit nombre de laboratoires dans le monde abritent ce type d’expériences.

Ainsi, l’idée du « gain de fonction » est tout simplement de « faire gagner » à un virus de nouvelles fonctions, le plus souvent pour le rendre plus transmissible ou plus virulent. C’est donc un jeu dangereux, mais qui permet d’avoir quelques coups d’avance sur le pathogène – en théorie…

Comment fait-on concrètement ?

Il s’agit de forcer les virus à évoluer en accéléré, pour voir quelles stratégies ils déploient lorsqu’ils s’adaptent à un nouvel hôte (des cellules humaines ou des modèles animaux). On part par exemple d’un virus de grippe aviaire et on le modifie pour voir quelles propriétés lui permettent d’infecter un mammifère.

En pratique, plusieurs techniques sont employées pour fabriquer de « super » virus :

  • Il est possible d’introduire directement de nouveaux gènes dans un génome viral. « Le plus souvent, on cible des gènes qui codent pour les protéines de l’enveloppe virale, car ce sont elles qui permettent au virus de s’accrocher aux récepteurs de la cellule hôte », indique Benoît Barbeau, qui précise que cibler un gène précis est devenu plus simple ces dernières années grâce aux ciseaux génétiques CRISPR-Cas9.
  • On peut également cultiver le virus en laboratoire et le forcer à évoluer en le mettant en présence d’anticorps ou de médicaments antiviraux.
  • Enfin, on peut simplement infecter des cellules humaines ou des animaux (souris, furets…) les uns après les autres, en faisant ce qu’on appelle des « passages ». « On regarde quels sont les animaux qui ont le plus de symptômes et on récupère le virus chez ces derniers. On l’utilise pour en infecter d’autres, et ainsi de suite. À chaque fois, on sélectionne donc les virus les mieux adaptés », précise le spécialiste.

Une approche controversée

Les premières expériences de gain de fonction ayant fait du bruit dans la sphère publique sont celles des équipes de Ron Fouchier (aux Pays-Bas) et de Yoshihiro Kawaoka (aux États-Unis) sur le virus de la grippe aviaire H5N1, en 2011. Ils avaient introduit différentes mutations susceptibles d’accroître la transmissibilité du virus, jusqu’à ce que celui-ci puisse se propager entre furets par aérosols. Mais leurs travaux n’avaient pas été publiés intégralement (pas de détails méthodologiques divulgués) à la demande du gouvernement américain, qui craignait que ceux-ci soient exploités par des bioterroristes. Ces deux chercheurs, qui ont poursuivi leurs travaux sur le virus H5N1 jusqu’à récemment, ont renoncé à demander un autre financement auprès des Instituts nationaux américains de la santé.

Plus récemment, en 2017, des chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan, en partie financés par des fonds américains, ont greffé artificiellement sur une souche de coronavirus des protéines S issues de huit coronavirus différents (ces protéines  permettent au pathogène d’entrer dans les cellules cibles), afin de voir l’effet sur leur capacité à infecter des cellules humaines. Ce sont ces travaux qui ont alerté les experts sur la possibilité d’une fuite de laboratoire.

Faut-il abandonner ce genre de manipulations? Dans les faits, deux camps s’opposent: les chercheurs qui estiment que ces techniques sont de précieux outils pour comprendre l’émergence de nouveaux pathogènes et être mieux préparés, et ceux qui pensent que le risque est trop grand, et que d’autres méthodes plus sécuritaires sont tout aussi pertinentes.

Dans un texte paru en 2018, l’épidémiologiste américain Marc Lipsitch, professeur à l’École de santé publique de Harvard, mettait en garde « contre les expériences de gain de fonction exceptionnellement dangereuses, conçues pour créer des souches de grippe potentiellement pandémiques et nouvelles, par exemple en améliorant la transmissibilité par voie aérienne chez les mammifères de souches de grippe aviaire. Cette question a fait l’objet d’un débat intense au cours des cinq dernières années, bien que l’histoire de ces expériences remonte au moins à la synthèse de la grippe A H1N1 à partir de matériel conservé de la pandémie de 1918 [en 2005]. »

En effet, grâce à des prélèvements sur la dépouille d’une victime conservée dans le pergélisol en Alaska, des chercheurs américains avaient alors reconstitué le code génétique du virus de 1918 et l’avait recréé in vitro. Et Marc Lipsitch d’ajouter : « S’il est indiscutable que certaines questions ne peuvent trouver de réponse que dans des expériences de gain de fonction sur des souches hautement pathogènes, ces questions sont étroites et peu susceptibles de faire progresser de manière significative les objectifs de santé publique tels que la production de vaccins et la prévision des pandémies. » L’histoire récente semble pour l’instant lui donner raison.

 

 

 

 

 

 

 

 

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