Un technicien travaille sur des prélèvements de tests Covid dans un laboratoire de Wuhan, le 4 août 2021 en Chine

Un technicien travaille sur des prélèvements de tests Covid dans un laboratoire de Wuhan, le 4 août 2021 en Chine

afp.com/STR

Le schéma relève du déjà-vu : une étude scientifique paraît parmi des centaines d’autres en ce début d’année 2024. Passé relativement inaperçu dans un premier temps, un article mis en ligne le 4 janvier sur le site BioRxiv affirme qu’un coronavirus découvert sur des pangolins capturés en 2017, cousin du Sars-CoV-2, a été isolé et étudié par des scientifiques de l’Université de technologie chimique de Pékin. Ce dernier, qui diffère légèrement du virus présent dans la nature du fait de son isolement en laboratoire, aurait la capacité d’infecter des cellules humaines et des souris transgéniques humanisées. L’information est partagée dans un premier temps sur X (anciennement Twitter) par plusieurs comptes complotistes avant d’être reprise par le journal britannique Daily Mail. L’information retenue est la suivante : la Chine a manipulé un coronavirus, ce qui lui aurait conféré une létalité bien plus importante. La machine s’emballe, la nouvelle est partout. Et, jeudi 18 janvier, c’est au tour du Figaro, en France, de s’emparer de cette étude. Pourtant, plusieurs éléments de cet article tendent à minimiser pour le moins cette "découverte".

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Pour Florence Débarre, directrice de recherche en biologie de l’évolution au CNRS et qui a mené plusieurs recherches sur les origines du Sars-CoV-2, la présentation qui est faite de cette étude est "quelque peu biaisée". De quoi parle-t-on ? Pour faire simple, un coronavirus de pangolin connu sous le nom de GX_P2V a été isolé et étudié par une équipe chinoise. Forcément, cela interpelle car la piste de cet animal avait été évoquée dès 2020 pour expliquer les origines du Covid-19, avant que plusieurs travaux montrent que le virus le plus proche circulait en réalité chez des chauves-souris dans le sud de la Chine. Pis, comme l’écrit Le Figaro, on observerait de "curieuses manipulations" qui auraient "favorisé l’apparition de mutations extrêmement pathogènes sur un coronavirus cousin du Sars-CoV-2". La Chine, le pangolin, un virus modifié, le spectre d’une future pandémie… N’en jetez plus !

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En réalité, plusieurs équipes de recherche dans le monde - chinoises, bien sûr, mais aussi américaines ou françaises - étudient deux virus de pangolins saisis en Chine en 2017 et 2019 et baptisés GX/2017 et GD/2019. La date de la découverte de ces virus n’est pas connue avec précision, la première étude datant de 2020. Rien de neuf sous le soleil, donc. L’équipe du laboratoire de virologie de Wuhan, dirigée par Shi Zhengli, a notamment publié des travaux sur ce même coronavirus en février 2023, sans que ça n’émeuve particulièrement les foules alors que son institut est au cœur des interrogations sur les origines du Covid-19. Aux Etats-Unis, on sait aussi que l’équipe dirigée par Ralph Baric, de l’université de Caroline du Nord, étudie l’autre coronavirus de pangolin, celui de 2019, alors qu’il est plus proche du Sars-CoV-2 que son cousin de 2017.

Mais revenons en Chine, en 2024. L’équipe de Pékin aurait donc, selon ces articles de presse, manipulé ce pathogène. "Le virus a été isolé et étudié par différents groupes, souligne Florence Débarre. Pour obtenir l’isolat souhaité, les chercheurs ont procédé à différentes étapes nécessaires à l’isolement et à la purification du virus. Ce qui fait que le virus obtenu en laboratoire n’est pas le même que le virus naturel. Il a ainsi perdu 104 nucléotides, ce qui est peu". Cela fait dire aux différents médias que cette modification du génome, fruit d’un processus de recherche classique, rappelle les expériences "gains de fonction" (NDLR : ces expériences ont pour but de forcer l’évolution d’un virus en répétant des infections sur des animaux de laboratoire ou des cultures cellulaires). Or, la réalité s'avère plus complexe. "C’est une expression qui est devenue un épouvantail. Mais il n’y a pas de gain de fonction ici. Certes, il a été modifié au cours de son passage en laboratoire mais il n’a pas été modifié dans le but de le rendre plus virulent. Au contraire, il a perdu 104 éléments ! Les auteurs écrivent d’ailleurs dans leur réponse présente dans la partie 'commentaires' de l’article qu’il a été 'atténué"", poursuit la chercheuse. Rien n’indique d’ailleurs que le virus dit "naturel" n’aurait pas pu infecter des souris ou des humains.

Souris "humanisées" et résultats à nuancer

Poursuivons nos investigations. Le coronavirus GX_P2V a ensuite été soumis à quatre souris "humanisées", autrement dit modifiées génétiquement pour présenter des similarités avec les cellules humaines. Ils ont également été conservés dans un environnement favorisant leur multiplication et donc l'apparition de mutations. Le résultat est sans appel : 100 % des souris infectées sont mortes. Là encore, il faut savoir raison garder. Une infection dépend des caractéristiques de l’hôte et de celles du pathogène. Dans cette expérience, les souris ont été dotées de la forme humaine du récepteur ACE2, qui est en quelque sorte la porte d’entrée dans les cellules humaines. Si un virus parvient à s’accrocher à ce récepteur, alors il pourra contaminer des êtres humains. "Or, il faut préciser que, si on a le même matériel génétique dans tout notre corps, une cellule de peau ne ressemble pas à une cellule digestive ou de cœur. Le problème avec ces souris humanisées est qu’elles expriment le récepteur ACE2 un peu partout, et notamment dans le cerveau", précise Florence Débarre. C’est certainement ce qui explique que la charge virale observée par les scientifiques chinois était particulièrement élevée dans le cerveau des rongeurs. Le virus ayant infecté le système respiratoire est monté au niveau du système nerveux. Autrement dit, pour la chercheuse française, "ce résultat est dû aux souris utilisées davantage qu’au virus lui-même". "Lorsqu’on les infecte au Sars-CoV-2, ces souris humanisées-là meurent aussi !", poursuit-elle.

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Au-delà du résultat de cette recherche en elle-même, certains s’interrogent sur la poursuite de l’étude de virus dangereux en laboratoire, plus de quatre ans après le déclenchement de la pandémie de Covid-19. D'autant qu'il n'est pas précisé à quel niveau de biosécurité ont été menées ces expériences. "Ces expériences sont dangereuses, juge pour sa part Hervé Fleury, virologue et professeur émérite au CNRS et à l’université de Bordeaux. Cette étude menée en Chine montre quand même qu’on est capable de créer un clone de coronavirus de pangolin capable d’infecter les humains, il faut donc davantage les encadrer. Aux Etats-Unis, par exemple, la Chambre des représentants a demandé la suppression des crédits accordés à ce type d’expérimentations". Cependant, cette étude ayant "seulement" pour but de caractériser un virus déjà existant, ce type de travaux n’aurait pas été interdit outre-Atlantique. Pour ses défenseurs, en revanche, il s’agit d’un mal nécessaire pour travailler sur des remèdes et vaccins avant même qu’une épidémie ne se déclare. Longtemps encadrée par un moratoire qui a été levé en 2017, cette pratique reste à la discrétion des Etats et des instituts de recherche.

Reste une interrogation, soulignée par Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et chef d’équipe réplication virale au laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques (AFMB) à Marseille, dans Le Figaro : "Si de telles manipulations sont liées à des projets d’armes biologiques, c’est particulièrement inquiétant". Une affirmation balayée par Florence Débarre : "Si l’armée chinoise voulait développer ce genre d’armes biologiques, ils n’auraient aucun intérêt à publier leurs travaux dans une revue américaine". Quoi qu'il en soit, Florence Débarre s'étonne surtout de l'écho reçu par ces travaux chinois : "Il s'agit simplement de recherche fondamentale sur des virus. Ce qui est nouveau, c'est de voir ces trajets de désinformation à l'oeuvre".

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