La maire de Paris, Anne Hidalgo, et la Première ministre, Elisabeth Borne, à Paris, le 13 novembre 2022.

La maire de Paris, Anne Hidalgo, et la Première ministre, Elisabeth Borne, à Paris, le 13 novembre 2022.

JULIEN DE ROSA / AFP

"La situation financière de la ville de Paris est grave", a dénoncé le ministre des Transports Clément Beaune, dimanche 27 novembre, sur le plateau du "Grand rendez-vous" d'Europe 1 et CNEWS. "Les chiffres sont éloquents, la dette depuis le début du mandat de madame Hidalgo en 2014 a doublé" et ça n'est pas "comme le dit Anne Hidalgo, lié au Covid-19", estime le ministre. D'après la mairie, la dette totale de la ville de Paris s'élèvera à 7,75 milliards d'euros au 31 décembre. En 2001, elle s'élevait à un peu plus d'un milliard d'euros. Une mise sous tutelle "n'est pas exclue", a donc lâché Clément Beaune, ajoutant que ce scénario serait "gravissime" et représente "un ultime recours".

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Cette demande avait déjà été sous-entendue l'an passé par Rachida Dati, à la tête du premier groupe d'opposition au Conseil de Paris, qui ne rate pas une occasion de fustiger la gestion "calamiteuse" de la ville. Après des séances houleuses en Conseil de Paris, l'élue de droite avait demandé à l'Etat qu'il reprenne la main sur la gestion de la capitale.

"Je pense que pour les Parisiens, la page Anne Hidalgo est déjà tournée", a estimé Clément Beaune, dimanche. "Quand vous avez à l'élection présidentielle moins de 2 % de votre propre ville... Les Parisiens sont déjà passés à autre chose mais ils sont inquiets aujourd'hui parce qu'on leur augmente leurs taxes en catimini, parce qu'ils ne voient pas vraiment de bénéfices à cette dérive financière", a-t-il ajouté en faisant référence à la hausse de la taxe foncière dans la capitale.

En 2020, la candidate sortante à la mairie de Paris avait en effet assuré qu'elle n'augmenterait pas les impôts si elle était réélue. Deux ans plus tard, "en raison d'un contexte national et international préoccupant, marqué par le dérèglement climatique, la crise énergétique et une forte inflation", Anne Hidalgo a fait le choix d'augmenter nettement le taux d'imposition de la taxe foncière, qui passera, en 2023, de 13,5 % à 20,5 %, soit une augmentation de 52 %. Au-delà de la conjoncture, cette dernière rappelle que Paris possède la taxe foncière "la plus basse de France", la moyenne nationale au sein des grandes villes étant de 41,61 %.

La balle est dans le camp du préfet

Pour Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la mairie de Paris, "rien ne justifie sur le plan juridique d'évoquer la "mise sous tutelle" de la Ville de Paris". Mais concrètement, une telle mesure est-elle envisageable ? D'un point de vue constitutionnel, les collectivités locales, dont les communes, "bénéficient de la clause de compétence générale leur permettant de régler par délibération toutes les affaires relevant de leur niveau", y compris les affaires administratives et économiques.

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D'après l'article 72 de la Constitution : "Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois." En d'autres termes, c'est au préfet que revient la mission de surveillance de légalité des actes administratifs. En revanche, les actes budgétaires des collectivités territoriales sont des actes administratifs soumis à un contrôle spécifique du ressort de juridictions spécialisées : les chambres régionales des comptes et les chambres territoriales des comptes. A Paris, il reviendrait donc à la Chambre régionale des Comptes d'île de France d'éplucher les comptes de la mairie sur demande du préfet.

Si les magistrats constatent que le budget n'a pas été voté en équilibre réel, ils peuvent alors proposer à la collectivité territoriale, dans un délai de trente jours à compter de la saisine, les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre budgétaire, tout en demandant à l'organe délibérant une nouvelle délibération, en application de l'article L1612-5 du Code général des collectivités territoriales. Si la mairie ne s'est pas prononcée dans le délai prescrit, ou si la délibération prise ne comporte pas de mesures de redressement jugées suffisantes par la chambre régionale des comptes, le préfet peut ensuite prendre le relais pour redresser des finances en berne. On parle alors de mise sous tutelle.

Le siège d'Anne Hidalgo pas menacé

Reste à savoir si Marc Guillaume, préfet de la région Île-de-France, est prêt à lancer ce dossier chronophage. Ce genre de cas de figure reste relativement rare. Seules quelques collectivités ont connu une rectification budgétaire avec l'aide de la Chambre régionale des comptes, comme Bussy-Saint-Georges en 2003, Pont-Saint-Esprit en 2008, ou encore Hénin-Beaumont en 2009.

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Il faut remonter plus de 80 ans en arrière pour retrouver la trace d'une mise sous tutelle d'une très grande ville : Marseille. L'évènement, très controversé, a été provoqué par la mort de 74 personnes lors d'un incendie dans les Nouvelles Galeries, sur la Canebière. Le maire socialiste de l'époque, Henri Tasso, fut alors accusé d'être responsable pour n'avoir pas modernisé le service municipal de lutte contre le feu. Au terme de plusieurs expertises, la mise sous tutelle de la ville est actée en janvier 1939. Le gouvernement nomme alors un administrateur extraordinaire, Frédéric Surleau.

Aujourd'hui, une mise sous tutelle de la ville de Paris paraît ainsi peu probable, et même si cela se produisait, le mandat d'Anne Hidalgo ne serait pas menacé. La loi ne prévoit pas que le maire d'une commune soumise à une telle mesure soit forcé de quitter son siège ou de le remettre en jeu.

La polémique vient toutefois mettre en lumière le climat malsain régnant entre l'exécutif et la mairie de Paris. Le 24 novembre, Anne Hidalgo a par exemple annoncé porter plainte pour diffamation contre le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal. La veille, ce dernier avait en effet comparé la gestion de la capitale à une "pyramide à la Ponzi" en raison du micmac comptable des loyers capitalisés.

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