« Ce bébé, ce boulet, pas pour moi ! » C'est l'enseignement choc de notre sondage Ifop : 30 % des Françaises de 18 à 49 ans ne veulent pas d'enfants. Un chiffre fou, qui rend compte d'un changement culturel majeur. Serait-ce à cause du réchauffement climatique ? De l'insécurité galopante entre menace nucléaire et risque d'attentats ? Des méfaits engendrés par la surpopulation ? Oui, mais pas seulement : c'est d'abord par soif de liberté ! Un vent d'hédonisme souffle en effet sur le (non) désir d'enfants des Françaises. Bien avant l'écoanxiété, c'est d'abord parce qu'elles veulent rester libres, sans responsabilités parentales, qu'un tiers des femmes en capacité et en âge de procréer ne souhaitent pas avoir d'enfants. Elles sont même 50 % à affirmer qu'un bébé n'est pas indispensable à leur épanouissement personnel. 

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Un changement des mentalités

La proportion de femmes qui jugent qu'être mère n'est pas nécessaire à leur bonheur a triplé en vingt ans : elles étaient 12 % en 2000, elles sont désormais 33 % en 2022. En cela, peut-être grâce à la prise de conscience féministe liée à #MeToo, nous assistons à une rupture anthropologique : l'équation « féminité = maternité » devient de plus en plus caduque. C'est l'idée que l'on n'a plus besoin d'être mère pour avoir le sentiment d'être une femme accomplie. Autre révolution culturelle : celles qui souhaitent devenir mères ne s'embarrassent plus du schéma classique « trouver le bon, emménager, se marier, faire un bébé ». Avec l'ouverture de la PMA pour toutes, il y a un an, près d'une Française sur deux se dit prête à se lancer seule dans l'aventure si elle est célibataire. Un chiffre impressionnant, qui dit bien leur envie de ne plus s'encombrer des injonctions patriarcales. Dernier phénomène majeur, les mères sont de plus en plus nombreuses à faire part de leurs regrets : si 51 % des mères d'enfants en bas âge regrettent leur vie d'avant, plus libre et plus légère, elles sont 12 % à carrément regretter d'avoir eu un enfant… Aurait-on pu seulement entendre ce genre de phrase il y a dix ans ? Dans ce dossier spécial, outre notre grand sondage commenté par François Kraus, directeur du pôle Politique et expert genre et sexualités à l'Ifop, six Françaises témoignent de leur désir (ou non) d'enfants et des raisons de leur choix

1. Dans l’idéal, combien d'enfants souhaitez vous avoir ? 

                     2006                   2022  

Aucun            2 %                    13 %  

Un                 7 %                    10 % 

Deux             41 %                   45 % 

Trois et plus   47 %                   32 % 

ANALYSE « En 2006, seules 2 % des Françaises ne voulaient aucun enfant. En 2022, elles sont 13 % ! C'est une évolution surprenante au vu de son ampleur en seulement seize ans. Car si le désir d'enfant reste largement majoritaire, plusieurs catégories de femmes affirment ne pas en vouloir : par exemple, 25 % des 15-24 ans n'en souhaitent aucun. Il est intéressant de constater l'importance du facteur religieux aussi : les femmes athées sont deux fois plus nombreuses à ne pas vouloir d'enfants que les croyantes. Logique : plus on est écologiste, féministe et athée, plus on rejette le modèle classique qui lie féminité et maternité, comme le développe la suite du sondage. »

2. Plus précisément vous avez entre 18 et 49 ans et êtes en capacité de procréer : souhaitez-vous avoir des enfants ? 

OUI > 70 %

NON > 30 % 

ANALYSE « Près d'un tiers des femmes en âge de procréer ne souhaitent pas avoir d'enfants. C'est énorme ! Plus on monte dans les catégories sociales, moins il y a de désir d'enfants : 38 % des CSP+ n'en veulent pas, contre 26 % des femmes issues des catégories populaires. Et une dirigeante d'entreprise sur deux n'en veut pas. On observe aussi une très forte division politique : 54 % des Françaises qui ne veulent pas d'enfants se disent très écologistes. Plus précisément, 48 % des sympathisantes EELV n'en veulent pas, alors qu'elles sont seulement un quart chez les sympathisantes de droite (LR, Renaissance et RN). En somme, plus les Françaises sont féministes et écologistes, moins elles veulent d'enfants. »

3. Pour quels motifs ne souhaitez-vous pas avoir d'enfants ? 

Un enfant n'est pas indispensable à mon épanouissement  50 % 

J'ai envie de rester libre, sans responsabilités parentales  48 % 

Le réchauffement climatique ( incendies, sécheresse, pollution...) 39 % 

Les crises politiques et sociales en France et dans le monde 37 % 

La surpopulation 35 % 

La crainte des effets de la grossesse sur mon corps 34 % 

Le désir de privilégier ma vie sociale 31 % 

Le manque de moyens financiers 31 % 

L'absence de conjoint 26 % 

De mauvaises conditions de logement 22 % 

ANALYSE « On est dans le “je pense à moi d'abord”. Les Françaises, et particulièrement celles qui sont aisées, féministes et les plus diplômées, rejettent les injonctions de parentalité qui pèsent sur elles. En fait, leur respectabilité sociale ne passe plus par la maternité. Autre fait marquant : si l'écoanxiété pèse sur certaines (46 % des moins de 35 ans expliquent leur volonté de ne pas faire d'enfants à cause des conséquences liées au réchauffement climatique), c'est d'abord et avant tout le besoin de liberté qui prime dans toutes les catégories sociales : 56% de ces mêmes moins de 35 ans considèrent qu'un enfant n'est pas indispensable à leur épanouissement personnel. »

4. Pensez-vous qu'être mère, pour le bonheur d'une femme, c'est... 

                          1980             2022

Indispensable       40 %            22 %

Souhaitable          46 %            37 % 

Pas nécessaire      13 %            33 % 

Pas souhaitable     1 %              1 % 

ANALYSE « En quarante ans, les Françaises ont complètement évolué sur la question : aujourd'hui, un tiers des femmes considèrent qu'être mère n'est pas nécessaire pour être heureuse. C'est une rupture quasi anthropologique. Par rapport à leurs voisines européennes, les Françaises sont parmi les Occidentales les plus sécularisées et les plus féministes. Ce chiffre montre en partie la défaite de la pensée conservatrice, qui a toujours essayé de reléguer la femme dans son rôle de mère en charge de la sphère domestique. Les nouvelles générations, surtout, réinventent la définition du féminin : 43 % des 15-24 ans et 35 % des 25-34 ans rejettent le modèle féminité = maternité. »

5. Seriez-vous disposée à recourir à une P.M.A en tant que célibataire ? 

OUI > 47 % 

NON > 53 %

ANALYSE « Ces chiffres confirment ceux du dernier bilan de l'Agence de la biomédecine : un an après l'ouverture de la PMA pour toutes, les femmes seules sont celles qui recourent le plus à cette pratique. C'est encore une rupture anthropologique : avant, on pensait qu'être mère, c'était seulement possible dans un couple, plutôt hétérosexuel. Mais, aujourd'hui, plus d'une femme sur deux pense que ce n'est plus nécessaire. »

6. Vous êtes mère d'un enfant de moins de 3 ans, vous arrive-t-il de regretter la vie que vous aviez avant d'avoir un enfant ? 

OUI > 51 % 

NON > 49 %

ANALYSE « Nous avons pris un échantillon particulier : les mères d'enfants de moins de 3 ans, c'est-à-dire à un âge où les enfants sont encore très dépendants d'elles. Sans surprise, le poids de l'enfant dans le quotidien est ressenti de manière très forte. Ces femmes ont aujourd'hui clairement le sentiment que la vie sans enfants signifie plus de liberté. C'est particulièrement vrai pour les mères de moins de 25 ans (61 % des 18-24 ans regrettent leur vie d'avant), un âge de la vie où l'on sort beaucoup, où l'on a beaucoup d'amis et où le bébé peut être parfois perçu comme une charge. »

7. Vous êtes mère d'un enfant de moins de 3 ans : si c'était à refaire, feriez-vous le choix d'avoir votre enfant ?

OUI > 88 % 

NON > 12 %

ANALYSE « Contrairement au regret de la vie d'avant, le regret d'avoir fait l'enfant lui-même est beaucoup plus limité. Il concerne environ une femme sur dix. Le profil est sensiblement plus élevé chez celles qui ont connu une rupture conjugale avec le père de l'enfant (21 %) et chez les mères insatisfaites de leur vie sentimentale (18 %). Dans ces cas-là, on peut supposer que le projet d'enfant, pour être satisfaisant, est indissociable d'un projet de couple épanouissant. »