LES PLUS LUS
Publicité
International

Le ministre libanais Hector Hajjar au JDD : « Notre peuple est en train d’être remplacé »

Alors que le Liban s’enfonce dans une crise économique et sociale d’une ampleur inédite, avec un poste présidentiel toujours vacant, le ministre libanais des Affaires sociales Hector Hajjar, en visite à Paris, s’est confié au JDD.

Propos recueillis par Geoffroy Antoine , Mis à jour le
Hector Hajjar, le ministre des affaires sociales du Liban, en conférence de presse.
Hector Hajjar, ministre des Affaires sociales du Liban, en conférence de presse. © Hector Hajjar, Twitter.

Des millions de Libanais fêtent aujourd'hui l'anniversaire de la révolution du Cèdre – le 14 mars 2005 – lors de laquelle la classe politique libanaise s'est opposée à l'occupation militaire syrienne. L'occasion pour le JDD de s'entretenir avec Hector Hajjar, ministre des Affaires sociales du Liban, qui revient sur la crise économique, sociale et identitaire que traverse son pays.

Publicité
La suite après cette publicité

Le JDD. Le Liban connaît des heures très sombres de son Histoire. Pouvez-vous nous expliquer la nature de la crise que le pays traverse ?

Hector Hajjar. Nous traversons une série de crises depuis 2019. Manifestations massives, dépréciation monétaire, blocage des comptes bancaires, disparition de la classe moyenne et effondrement du secteur public. Puis il y a eu, en 2021, l’explosion massive et apocalyptique sur le port de Beyrouth. Comment ne pas évoquer, non plus, les millions de réfugiés syriens et palestiniens présents depuis des années sur le territoire libanais. Et depuis le 7 octobre et la guerre à Gaza, la situation au sud du pays, à la frontière avec Israël, est très tendue et nous avons dû évacuer près de 150 000 personnes. Autant vous dire que nous n’arrivons plus à gérer tout cela…

Recevez-vous un soutien suffisant de la part de la communauté internationale ?

Non, pas assez, malheureusement. L’UNRWA [l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient], qui a la mission de prendre en charge les réfugiés palestiniens, a vu une grande partie de ses fonds être bloqués. Or, nous dépendons beaucoup de cette organisation pour s’occuper des réfugiés palestiniens, nous n’avons pas les moyens de le faire nous-mêmes. La plupart de nos programmes sociaux, à destination des citoyens les plus pauvres, qui recevaient des fonds d’organisations internationales, sont à la baisse. Je veux alerter la communauté internationale : nous avons besoin d’aide !

La suite après cette publicité

Le gouvernement libanais fait-il le nécessaire pour palier cette situation de crise ?

Nous traversons aussi une crise politique majeure. Depuis 15 mois, nous n’avons pas de président ! C’est un gouvernement en quasi-démission. Nos budgets ministériels fondent ; il y a cinq ministres qui refusent de se rendre aux réunions, c’est donc très difficile de prendre des décisions pérennes pour le pays. Mais malgré cela, nous essayons de tout faire pour aider les Libanais. Nous voulons répondre à l’urgence, nous voulons relancer le développement du pays, mais cela prend énormément de temps à cause de tous ces obstacles qui s’opposent à nous ! Toutefois, nous pouvons nous féliciter de premiers succès. La Banque mondiale nous a donné une aide de 300 millions de dollars ; nous avons rouvert des services de soins, nous mettons en place des programmes d’aide pour les plus démunis.

« Depuis 15 mois, nous n'avons pas de président »

Depuis le 7 octobre, la frontière israélo-libanaise est sujette à des affrontements réguliers entre l’armée israélienne et le Hezbollah. Israël a évacué près de 130 000 ressortissants. Le Liban a-t-il aussi procédé à une évacuation ?

Nous avons procédé au déplacement de près de 150 000 personnes concernées ; mais sans réel budget. Certains habitants du Sud ont préféré rester ; les autres ont été installés dans des hôtels, des couvents, des camps de réfugiés ou des écoles. Nous espérons que la situation ne dégénère pas afin que ces gens puissent rentrer chez eux.

La guerre à Gaza est en train de bouleverser profondément le Proche-Orient. En quoi cela affecte-t-il le Liban ?

Le Liban est entré dans cette guerre. En réalité, nous sommes victimes de ce conflit. Cela fait cinq ans que nous sommes bombardés par Israël ; et les bombardement se sont intensifiés depuis le 7 octobre. Le Liban subit de plein fouet ces combats ; contrairement à d’autres pays de la région, comme l’Égypte par exemple.

Mais est-ce le Liban qui fait la guerre ou bien le Hezbollah ?

Vous savez, le Hezbollah est un parti politique libanais, un parti de résistance, qui fait partie du gouvernement. Le Hezbollah utilise ses armes contre les agressions d’Israël, c’est un parti qui défend le Liban.

Vous parlez d’un parti politique. Mais le Hezbollah est considéré comme une organisation terroriste par de nombreux pays occidentaux.

Pas pour les Libanais. Le Hezbollah a défendu le Liban contre l’occupation israélienne ; nous voulons tous nous défendre contre ceux qui nous agressent, c’est une réaction qui me semble normale. La question est de savoir où est et que fait l’armée libanaise ; c’est une question importante à laquelle il est difficile de répondre. La sécurité de notre pays est primordiale.

Le Liban doit composer avec la présence, sur son territoire, de près de 3 millions de réfugiés de guerre. Comment un pays qui connaît autant de difficultés économiques peut-il s’en sortir face à un tel afflux ?

C’est un sujet extrêmement grave sur lequel je veux alerter la communauté internationale. Cette situation devient intenable. Nous hébergeons plus de 400 000 réfugiés palestiniens et près de 2 millions de réfugiés syriens. Imaginez, pour un pays comme la France, riche et industrialisé, s’il accueillait demain 30 millions de réfugiés ? Ne serait-ce pas le chaos ?

« Nous vivons la plus grande crise identitaire de notre Histoire » 

Cette présence massive des réfugiés syriens pose-t-elle un problème démographique ?

Un énorme problème. Sur cinq nouveau-nés, un est libanais, les quatre autres sont syriens ! Le peuple libanais est littéralement en train de se faire remplacer. Les Syriens jouissent du statut de réfugié et profitent abondamment de ce droit. Nous ne pouvons pas les expulser au risque de se mettre la communauté internationale à dos, mais la situation n’est plus gérable. La présence de ces réfugiés crée d’importantes tensions sociales ; il y a souvent des affrontements entre eux, mais aussi entre réfugiés et libanais. Nous vivons la plus grande crise identitaire de notre Histoire !

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense, à la frontière nord d'Israël, le 16 avril.
International

Israël-Hezbollah : le risque d’escalade

MENACES. Depuis les frappes iraniennes du 13 avril, la tension s’intensifie à la frontière nord d’Israël. Tsahal a admis pour la première fois mener des actions offensives ciblant des commandants du Hezbollah.

Soldat israélien en opération à Gaza.
International

Liban : les chrétiens plus que jamais divisés sur le conflit à Gaza

Face à l’influence omnipotente du Hezbollah au Liban, les chrétiens peinent à faire entendre leur voix au sujet du conflit à Gaza. Représentant moins d’un tiers des habitants du pays du Cèdre, ils ne partagent pas la même opinion sur la guerre. Reportage au sein des différents fiefs chrétiens.

Un poster avec un emblème du Hamas, photographié dans un camp de réfugiés à Beyrouth, en mars 2024.
International

Liban : la base arrière du Hamas

Le mouvement islamiste gazaoui n’est pas uniquement présent dans la bande de Gaza. Le Hamas dispose de plusieurs cellules au Liban et a gagné en popularité dans les camps palestiniens. Reportage au cœur du quartier de Bourj el-Brajné.

Publicité